Si La Tribune de l’Art pratique un journalisme engagé, il l’est
uniquement pour la cause du patrimoine et des musées. Nous n’avons jamais pris
et ne prendrons jamais de positions politiques. Nous l’avons dit et répété,
les vandales se trouvent aussi bien à gauche qu’à droite et nous les dénonçons
les uns comme les autres.
Nous n’avons pas voulu, comme de nombreux autres journaux, parler des programmes des différents partis. Pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il était hors de question pour nous de faire de la publicité pour des extrêmes,
Camille Formigé (1845-1926)
Serres d’Auteuil (Photo : Didier Rykner) |
Nous avons maintes fois dénoncé la politique du précédent président de la
République qui, de ce point de vue, a été assez catastrophique (voir notamment
ici
et ici).
Nous jugerons le nouveau sur des actions, pas sur des paroles.
Celui-ci
semble vouloir mettre en œuvre une République exemplaire (« Moi, président
de la République… »). Dans le domaine du patrimoine et des musées, il aura
beaucoup à faire, et son (ou sa) ministre de la Culture encore
davantage.
Nous jugerons donc sur des actes. Car ses intentions, pour le moment, sont
bien floues. Il semble que parmi les noms des candidats au portefeuille
ministérielle le plus probable soit aujourd’hui celui d’Aurélie Filippetti,
qui était d’ailleurs en charge de la Culture dans l’équipe de campagne de
François Hollande. Mais quand s’est-elle exprimée concrètement sur ces sujets
? Bien rarement comme le démontre une recherche Google « "Aurélie Filippetti" "monuments
historiques" » ou « "Aurélie Filippetti"
"musées" ». Que l’on puisse également évoquer le
nom de Bertrand Delanoë apparaît presque comme un gag tant sa gestion de la
capitale a montré le peu de cas qu’il faisait des musées et du
patrimoine.
Puisque tout reste possible en attendant la nomination du nouveau
gouvernement, on en profitera pour suggérer au prochain ministre le programme
suivant.
A. Commun aux musées et au
patrimoine.
1. Dégager des moyens budgétaires
suffisants.
Les monuments historiques et les musées doivent être conservés et
entretenus pour des raisons culturelles évidentes. Si certains restent
inaccessibles à cette obligation morale et intellectuelle, rappelons leur
(même si nous n’aimons pas utiliser cet argument qui rabaisse la culture à une
pure question économique) qu’il s’agit d’une des
principales richesses de la France, et l’une des rares qui ne peut être
délocalisée. De multiples études ont démontré que globalement,
l’investissement dans le patrimoine et les musées est créateur de richesse et
d’emploi pour un pays. Il s’agit aussi d’un enjeu social car le patrimoine
crée des liens entre les citoyens et est un de leurs biens
communs.
De plus, le financement que l’on devrait lui consacrer
reste une goutte d’eau dans le budget du pays. Les monuments historiques et
les musées devraient donc bénéficier de ressources financières en augmentation
et sanctuarisées. A ce titre, on peut rappeler que le projet d’affecter une
partie des recettes de la Française des Jeux au patrimoine reste une piste
intéressante à approfondir. Il est important enfin de rappeler que le mécénat
n’est pas une niche fiscale mais qu’il est devenu une des ressources
essentielles du patrimoine et des musées.
Ces dernières années, les nombreuses commissions scientifiques mises en
place dans le domaine des musées et du patrimoine ont été transformées pour
donner de plus en plus de place aux élus. Or, ceux-ci
ne peuvent être à la fois conseillers et décideurs. Une commission
scientifique doit demeurer composée très majoritairement de personnes
qualifiées.
Ces commissions sont (liste non limitative) : la Commission
Nationale des Monuments Historiques, les Commissions Régionales du Patrimoine
et des Sites, les Commissions Scientifiques Régionales des Collections des
Musées (acquisitions et restaurations), la Commission scientifique nationale
des collections, les différentes commissions scientifiques propres aux
Établissements publics, la Commission interministérielle d’agrément pour la
conservation du patrimoine artistique national (aussi connue comme Commission
des dations), etc.
B. Patrimoine
1. Restaurer une politique de protection du patrimoine digne de ce
nom.
Revenir sur l’abolition
des ZPPAUP voulue – et obtenue - par quelques
députés UMP pour des raisons purement locales. Ceci est d’autant plus
facile que le décret d’application des AVAP est inapplicable en raison des
délais imposés aux élus qui doivent remplacer leurs ZPPAUP (avant le 14
juillet 2015…)
Redonner leur place aux Architectes des Bâtiments de
France, garants indispensables de l’application des lois sur la protection des
monuments historiques.
Corriger la loi SRU
(Solidarité et Renouvellement Urbain) de 2000, en soustrayant les grands
domaines nationaux à l’obligation d’être intégrés dans les
PLU ce qui provoque de dangereux appétits immobiliers des collectivités
locales.
Revenir sur l’augmentation
de 30% pendant trois ans des droits à construire décidée récemment par le
dernier gouvernement, mesure à laquelle, d’ailleurs, le PS était
opposée.
Abandonner l’urbanisme
de projet mis en œuvre par le précédent gouvernement.
2. Soutenir les associations de protection
du patrimoine.
Les associations lois 1901 sont une expression
légitime de la démocratie. A ce titre, l’État doit apprendre à mieux
travailler avec elle, à reconnaître leur valeur et à profiter de leur
expertise.
Il est donc nécessaire de supprimer l’interdiction
d’aller en justice pour les associations formées après la survenance du fait
qu’elles contestent1. Plus largement, le précédent
gouvernement, poussé une fois de plus par des élus locaux ne voulant pas
risquer de voir leurs projets remis en cause par la justice, a tout fait pour
empêcher les citoyens de s’opposer aux attaques contre le patrimoine.
L’impunité recherchée doit être dénoncée et combattue par un gouvernement qui
se veut exemplaire.
3. Renforcer la protection des sites.
Renforcer la loi de
1930 en prévoyant la protection large de perspectives (cônes de visibilité).
Une protection de 500 m autour des bâtiments protégés est souvent
insuffisante. Une construction haute peut se voir de loin et facilement
dénaturer des paysages ou des vues urbaines remarquables.
Faire un moratoire
sur le développement anarchique de l’éolien terrestre pour évaluer son impact
sur les sites protégés au titre de la loi française et/ou par l’UNESCO. Cela
ne veut pas dire « pas d’énergie éolienne », ce qui malgré une inefficacité
affirmée par de nombreux spécialiste, serait une position difficilement
tenable, mais un développement de l’éolien raisonné qui soit à la fois
rentable économiquement et ne constitue pas une atteinte irréversible contre
les paysages.
4. Aider les propriétaires privés et les collectivités
locales.
Outre des aides financières, les propriétaires de monuments historiques ont
besoin d’être assisté sur le plan technique.
Revoir le processus
d’élaboration des études préalables aux restaurations et la question de leur
financement qui ne peut rester entièrement à la charge des particuliers (il
s’agit de contraintes qui leurs sont imposées pour des raisons d’utilité
publique).
Apporter soit une
assistance effective à la maîtrise d’ouvrage pour les travaux sur bâtiments
protégés, soit un véritable contrôle lorsque le maître d’ouvrage estime avoir
les compétences. Actuellement, ce contrôle est déficient compte tenu de la
faiblesse des effectifs du ministère de la Culture, en partie due à la RGPP
(Révision Générale des Politiques Publiques).
Aider et accompagner
les municipalités qui possèdent un important patrimoine religieux dans la
création de plans églises dont l’objectif serait de faire un point complet de
l’état de ce patrimoine immobilier et mobilier, des urgences à traiter, et la
planification sur plusieurs années des restaurations à accomplir (exemple :
Ville de Paris).
5. Renforcer les possibilités de protection des œuvres d’art
?
Ces mesures depuis longtemps demandées à la fois par les associations de
protection du patrimoine et par les fonctionnaires des monuments historiques
étaient prévues dans une proposition de loi récente (voir cet article).
Permettre la
protection d’ensembles mobiliers comme monument historique ne pouvant être
dispersé ou divisé.
Permettre la
protection d’œuvres d’art in situ lorsqu’elles appartiennent
historiquement à un monument historique, ce qui empêcherait qu’elles quittent
ce monument historique.
Cesser le
malthusianisme actuel en terme de protection des monuments historiques et
respecter la loi en ce domaine.
En effet, un monument doit être inscrit
parce qu’il « présente un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en
rendre désirable la préservation », ou classé car il « présente, au
point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public ». C’est la loi,
et aucune autre condition ou limite n’est prévue.
Pour faire respecter
cette loi, l’avis des Commissions Régionales du Patrimoine et des Sites,
composées essentiellement de professionnels ne s’interrogeant que sur
l’intérêt d’histoire ou d’art du monument, doit être respecté par le préfet.
Pour les mêmes raisons, l’avis de la Commission Nationale des Monuments
Historiques doit être respecté pour ce qui concerne le classement.
Or,
actuellement, les commissions donnent un avis et les préfets dans les cas
litigieux sont soumis à des pressions politiques extrêmement
fortes.
N’autoriser que les
architectes du patrimoine à intervenir sur les monuments inscrits.
Actuellement, aucune obligation particulière n’est faite à ce sujet, et un
architecte n’ayant aucune connaissance en patrimoine ancien peut être amené à
« restaurer » une église du XVIe siècle si celle-ci n’est qu’inscrite. On
imagine ce que cela peut donner lorsque le propriétaire ne connaît rien non
plus à ce domaine et qu’aucun contrôle sérieux ne peut être fourni par
l’État.
6. Fortement encadrer la cession
de monuments historiques par l’État.
Dans l’idéal, l’État devrait conserver les monuments historiques qu’il
possède. Ce principe peut être discuté, mais un certain nombre de garde-fous
doivent être mis.
Geler provisoirement la cession de bâtiments de l’ État
protégés monuments historiques afin de faire le point de cette
politique.
Créer un « Haut
conseil du patrimoine » ayant pour objectif de déterminer le patrimoine
historique de l’Etat, outre celui dépendant du ministère de la Culture, qui
serait déclaré inaliénable et ne pourrait jamais être cédé, en particulier
ceux ayant toujours appartenu au domaine public. Il aurait aussi pour fonction
de conseiller le gouvernement sur toutes les questions relatives aux monuments
historiques.
Interdire la revente à des particuliers de monuments
historiques cédés à des collectivités locales.
Il est vrai que dans certains cas, des monuments
historiques (par exemple des hôtels particuliers) n’ont pas forcément vocation
à appartenir à l’État. Certains, d’autre part, ne font partie de son
patrimoine que depuis peu. Certaines propositions ci-dessus peuvent donc être
considérées comme excessives. Il faudra, pour le moins, qu’une grande
réflexion nationale s’engage avec tous les professionnels de ce domaine pour
déterminer une politique de conservation des monuments appartenant à l’État et
aux collectivités territoriales compatibles avec la conservation et la mise en
valeur de ces monuments.
7. Éviter les restaurations abusives.
Empêcher les restaurations abusives qu’occasionne parfois
la philosophie du système français des monuments historiques et cesser la
restitution d’éléments disparus, contraire à la charte de Venise ratifiée par
la France, qui trompent le public (grille
de Versailles), abime le patrimoine existant (Hôtel
Lambert) et constitue parfois une charge financière scandaleusement
élevée.
Faire un moratoire
sur les normes énergétiques dans les monuments historiques, qui ne doivent pas
s’appliquer mécaniquement et sans discernement aux bâtis anciens sous peine de
voir disparaître tous les éléments authentiques du second œuvre (fenêtres en
bois, enduits traditionnels, charpentes anciennes, etc.) et d’altérer
profondément l’esprit et la qualité architecturale des villes et des villages.
Le nécessaire développement durable ne doit pas se faire contre le
patrimoine.
8. Limiter la pollution d’affichage
publicitaire tant dans les sites naturels que dans les centres
urbains.
Reprendre comme elle
était à l’origine le décret de 2011 sur l’affichage publicitaire et largement
modifié en leur faveur sous l’influence des lobbys publicitaires (Canard
Enchaîné). Un président exemplaire ne doit pas céder aux lobbys financiers
agissant contre l’intérêt public.
Abroger
l’autorisation délivrée en 2005 par le ministère de la Culture (Renaud
Donnedieu de Vabres) autorisant l’affichage
publicitaire sur les échafaudages des monuments
historiques en travaux.
(Note de Jan : je n’ai pas gardé
le reste du texte (Musées, autres sites en France…) mais me suis limité à ce
qui touche à nos activités)