Intervention de Marie-Brigitte ANREI à l'occasion du Grand prix de la casserole parisienne, le mardi 31 mai 2011
GRAND ECRAN ITALIE La carte et le cinéma
ou "Un beau sabordage !"
Il était une fois au cœur de Paris, face à la
mairie du 13ème arrondissement, un superbe complexe audiovisuel
construit par l’un des plus grands architectes du 20° siècle. Situé
place d’Italie, sur l’esplanade rebaptisée "Place Henri Langlois" en
l’honneur du fondateur de la Cinémathèque française, parfaitement
desservi par les transports urbains, le Grand Écran est issu d’un
projet d’urbanisme à vocation culturelle initié par l’ancienne
municipalité, qui en avait confié la gestion à Gaumont.
Inaugurée en 1992, cette salle devenue mythique
en quelques années a fait rêver depuis des centaines de milliers de
spectateurs dans des conditions de confort, de vision et
d’accoustique incomparables.
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Devant la fondation
Seydoux (5 et 10septembre 2014) Cliquer sur l'image
pour davantage de photos | Dotée d’un
écran panoramique géant, d’une imposante salle en gradins assortie
de deux autres petites salles, d’une immense scène et de
remarquables infrastructures équipées, sa polyvalence la destinait
aussi bien au cinéma, aux retransmissions de grands évènements
culturels et sportifs, au spectacle vivant, aux concerts et à toute
autre forme de manifestations.
Pourtant début 2005, alors que le Conseil de
Paris avait fixé à 15 ans la durée d’exploitation obligatoire de
Gaumont, le groupe EuroPalaces - qui gère les salles Pathé et
Gaumont depuis 2001 - annonçait contre toute attente la fermeture
imminente du Grand Écran au bout de 13 ans seulement d’activité ! Il
ne pouvait s’agir bien sûr que d’un poisson d’avril avant l’heure,
car malgré la baisse de fréquentation invoquée, cette salle hors du
commun se maintenait toujours dans le peloton de tête des meilleures
fréquentations de la capitale !
Hélas, le 2 janvier 2006, en dépit de la mobilisation des habitants qui réussit à retarder de six mois
l’échéance fatale, la loi du profit à tout prix avait parlé, et ce
haut-lieu du cinéma n’attendait plus que les bulldozers chargés de
faire place nette à des magasins interchangeables. Et bientôt rien
ne pourrait empêcher l’exploitant de vider la salle de ses fauteuils
et de son matériel de projection !
Et que fit la Ville pour empêcher ce désastre
programmé? S’est-elle opposée à la fermeture, qualifiée de
"scandaleuse" par le président de la Région Ile-de-France en
personne? A-t-elle exigé le respect du cahier des charges, et de ses
diverses obligations progressivement abandonnées? A-t-elle consulté
le Conseil de Paris qui avait approuvé en 1988 et 91 la Convention
destinée à protéger la salle de tout changement d’affectation ?
A-t-elle lancé dès les premiers signes annonciateurs de la
catastrophe un appel d’offres auprès d’opérateurs culturels
susceptibles de maintenir l’activité? A-t-elle classé la salle à
titre d’équipement culturel dans le cadre du PLU, comme le
demandaient les habitants et les associations? Enfin a-t-elle engagé
la concertation réclamée à maintes reprises, ainsi qu’un véritable
plan de sauvetage de ce pôle d’attraction incontournable du sud-est
francilien ?
Que nenni ! Et malgré les déclarations de
l’ancien maire du 13ème qui s’était publiquement engagé en février
2005 à "s’opposer par tous les moyens juridiques et politiques à la
transformation en magasins de cette salle", la Ville s’est contentée
de "regretter" la fermeture, tout en la justifiant par des motifs
tirés par les cheveux ; d’accorder ses autorisations aux enseignes
commerciales ainsi qu’aux permis de construire et de démolir ; de
rester sourde, aveugle et muette aux protestations des habitants et
des associations, tout en ignorant superbement les propositions des
candidats à la reprise !
Mais c’était compter sans les recours judiciaires
de l’association Sauvons le Grand Ecran qui ont réussi avec le seul
soutien de la population à bloquer la vente et le projet commercial.
Et sans ce combat mené contre vents et marées ce prestigieux navire
aurait déjà sombré.
Reconnaissez que l’idée de rayer de la carte d’un
coup de baguette magique la plus belle salle de Paris, plébiscitée
par 90% des habitants, dépasse l’entendement ! Aussi, en attendant
des jours meilleurs je vous invite à saluer l’extrême originalité
d’un projet visant à transformer en simples boutiques un fleuron du
patrimoine des parisiens ; et à applaudir des deux mains
l’invraisemblable tour de passe-passe consistant à faire disparaître
comme par enchantement un équipement culturel de tout premier ordre.
Avouez qu’il faut être un bien grand prestidigitateur pour réussir à
faire passer pour obsolète une des salles les plus récentes et les
plus performantes de la capitale ? Chapeau l’artiste !
Mais aussi quelle fâcheuse idée avons-nous de
vouloir conserver à tout prix ce "truc" - selon les propres termes
du maire de Paris - et de nous acharner à faire naître un ambitieux
projet culturel dans un secteur particulièrement dépourvu !
Mesdames et Messieurs, à vous maintenant de juger
si cet incroyable projet, avalisé par l’administration municipale,
mérite de remporter ce soir le Grand Prix de la Casserole Parisienne
!
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